Les mareyeuses
Un métier de femmes autant qu’un métier d’hommes
Rien ne prédisposait Bérénice Dagorn, Marie Kérisit et Yvonne Le Pape à devenir mareyeuses, et donc à faire commerce de poissons et crustacés, en gros, demi-gros, et détail. Au départ femmes de mareyeurs, au port d’Audierne, elles sont devenues elle-mêmes mareyeuses, dans des périodes difficiles dans la vie du pays et, pour deux d’entre-elles, dans leurs propre existence de veuves.
La pionnière : Bérénice Dagorn.
Celle qu’Audiernais et Tréboulistes appelleront familièrement « Tante Bernice », sans prononcer le e de la deuxième syllabe, nait en 1857 à Tréboul. Elle épouse François Le Gall, né en 1855 à Douarnenez et le couple va s’installer à Audierne dans la Grand-Rue, puis plus tard sur les quais où, devenue veuve, elle acquiert avec son fils François la grande-maison du 14 quai Jean Jaurès.
C’est au rez-de-chaussée de cette maison que les Le Gall – Dagorn exerceront pendant 30 ans leur activité de mareyage et d’expéditeurs en crustacés. François Le Gall est devenu mareyeur après le naufrage de sa barque « Mère du Sacré Coeur » en baie d’Audierne et, comme ses frères, mareyeurs à Douarnenez et ailleurs, c’est à Audierne qu’il décide de s’installer.
Connus et appréciés des gens d’Audierne, ils le sont aussi des Tréboulistes de passage qui trouvaient auprès de « Tante Bernice » une porte toujours ouverte. Le couple fera aussi l’acquisisition des viviers de Pors Tarz qui resteront propriété de la famille pendant 90 ans.
François décède en pleine guerre, en 1916. Restée veuve, Bérénice fait face et continue l’activité avec ses fils François et Alexis qui épouseront deux soeurs : Marie et Anne Kérisit. François fils envisageait une carrière de notaire, pendant et après la guerre, mais le décès de son père et de son frère va en décider autrement. Il sera donc mareyeur et collaborera avec sa mère, en développant l’entreprise avec l’aide de sa femme Marie.
La continuatrice : Marie Kérisit
Rien ne prédispose non plus Marie Le Gall à devenir mareyeuse. Elle va le devenir, pourtant, tout en élevant ses quatre enfants, et jusque dans des conditions dramatiques.
Jeune encore, elle perd, elle aussi, son mari François en 1938, puis sa belle-mère Bérénice, un an après. C’est donc seule, avec l’aide d’employés dévoués qu’elle maintiendra l’activité durant la guerre, tout en acceptant le départ en Angleterre des fils aînés : Jacques (19 ans) et Alexis (17 ans), partis un 19 juin à bord de l’Ar Zenith pour rejoindre le général de Gaulle.
La paix revenue, et les deux fils miraculeusement rentrés, Marie devra faire face à une nouvelle épreuve, l’état de santé de son troisième fils, François, et son propre état de santé ensuite.
C’est l’aîné, Jacques, qui fera le sacrifice d’une carrière prometteuse dans la Marine nationale : plus jeune commandant de sous-marin à 24 ans, et qui reprendra l’affaire familiale en 1947.
La benjamine : Yvonne Le Pape
Jacques s’est marié à une demoiselle Le Pape, Quimpéroise, de famille bigoudène de Plovan et Plozévet. Hormis ce fait, et pas plus que pour les deux premières, rien ne désignait cette femme d’officier de marine à devenir mareyeuse.
Pourtant, à l’instar de Bérénice et de Marie, elle aussi apprendra le métier, en participant au développement de l’affaire : SARL en 1947, exploitant un fonds de commerce de marée, poissons, crustacés et salaisons ; SA en 1967, après le rachat des Grands Viviers, et depuis longtemps déjà fortement axée sur le négoce des crustacés.
Qui peut douter que, sans être efficacement secondée l’affaire eût pu connaitre un tel succès, lorsque le chef d’entreprise doit s’occuper tout à la fois des employés, des fournisseurs et des clients ?
Saga familiale autant que « Success story »
Dans le domaine du mareyage la concurrence a toujours été rude, y compris parfois au sein d’une même famille et entre cousins. Petit à petit cependant, après le rachat des Grands Viviers, l’affaire va prendre à Audierne une toute autre dimension, nationale et même internationale.
L’entreprise va se hisser au 1er rang de sa spécialité : le mareyage et le commerce de crustacés, en devenant la première en termes de tonnage. Elle comptera parmi sa clientèle 19 des 21 chefs étoilés.
Jacques cédera l’affaire au Groupe Bonduelle avant de se retirer à Saint-Malo.
Les Grands Viviers continuent de nos jours leur activité, faisant la fierté du port et de la ville et participant à sa renommée.
Texte établi par Jean-Luc Scoarnec d’après l’étude de Jean-François Le Gall sur
les Le Gall, presseurs, mareyeurs, conserveurs : une histoire cornouaillaise (1811-2021)
photos : collection Bertrand Le Gall