Le naufrage du Bessel

Parti d’Aruba, dans les Antilles néerlandaises le 29 août 1912 et se dirigeant vers Nantes, le Bessel approchait de la pointe de Bretagne, à la fin octobre, quand il fut pris dans une violente tempête de suroît.

Conditions de navigation en 1912

À cette époque les grands navires à voile (3 ou 4 mâts et sans moteur) venant d’Amérique pour le nord de l’Europe (France, Angleterre, Hollande, Scandinavie…) sans aucun moyen électronique actuel (radio, radar, GPS…) avaient à vaincre un défi redoutable : avoir vu et reconnu la terre « droit devant », à temps, au niveau de la pointe de Bretagne. Les grands phares construits dans la seconde moitié du siècle précédent avaient amélioré singulièrement cette situation. Cependant, en cas de brume ou de coup de vent (nombreux grains), la visibilité était réduite voire nulle. De plus ces voiliers, dans le très mauvais temps, devaient impérativement réduire la « toile », c’est-à-dire rentrer la plupart des voiles. Des dégâts alors n’étaient pas rares : voiles déchiquetées, partie de mât cassée… Leurs capacités normales d’évolution étaient alors réduites à quelques caps imposés par la direction du vent. C’est ainsi que le Bessel s’est retrouvé en baie d’Audierne en difficulté, baie qui de plus n’offre aucun abri par coup de suroît. Cette même année 1912 avait lieu un autre naufrage célèbre aux conséquences plus dramatiques : le Titanic qui à pleine vitesse s’éventrait sur un iceberg en Atlantique nord.

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le Bessel en 1891 dans le port de Brême (DR)

Le type de bateau

Le Bessel, trois-mâts norvégien, à la coque métallique et armé par 10 hommes d’équipage, était chargé de 838 tonnes de phosphates, quand il fut surpris par cette violente tempête de sud-ouest au large d’Audierne. Dans l’après-midi du 28 octobre 1912, il essaya de se réfugier dans le port.

Naufrage et sauvetage

Au début du siècle dernier, le port d’Audierne était fréquenté par des bateaux de commerce de ce type ; son accès par mauvais temps de sud-ouest était très difficile à cause de la présence d’une barre (rouleaux et vagues déferlantes) à l’ouvert du chenal. En avaries et peu manœuvrant le Bessel ne put prendre le chenal ; on jeta alors l’ancre (sans doute au moins 2) à quelques milles au sud d’Audierne. Ballotté par les déferlantes et le vent, le navire chassa sur ses ancres et s’échoua, vers 2 heures du matin, à 150 mètres de l’entrée du chenal et du môle d’Audierne. Les douaniers et le bateau de sauvetage se portèrent au plus vite à son secours avec leur canon lance-amarre. La rapidité de leur intervention leur permit de sauver et de débarquer, à terre, les 10 hommes d’équipage à Lervily. Mais le bateau, complètement désemparé et à la dérive fut finalement porté par la marée vers l’entrée du port. Vers 3 heures du matin, son arrière ayant heurté le môle, il s’échoua sur les rochers parallèlement au môle au bord du chenal. Si cet accident de mer fit peu parler de lui à l’époque, le quotidien l’Ouest Éclair lui consacra, dans les pages régionales de son N° 5.055 du 30 octobre 1912, une petite colonne d’à peine 30 lignes. Il est vrai qu’à l’époque, tous les jours, les unes des journaux se concentraient sur les événements dans les Balkans qui annonçaient déjà l’imminence de la Première Guerre mondiale. Cependant, l’affaire devait avoir quelques rebondissements.

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le Bessel désemparé à l'entrée du port d'Audierne (collection Roland Bordas)

La saga de l’épave

Comme le bateau présentait une gêne à la navigation, le maître du port d’Audierne invita le capitaine norvégien à débarrasser le chenal. Ce dernier répondit que le bateau avait été vendu avec sa cargaison à monsieur Albaret, mécanicien à Audierne, et déclina toute responsabilité. Monsieur Albaret fut donc mis en demeure de déplacer l’épave. Le 24 novembre, on procédait à une tentative de renflouement sous la direction de monsieur Lojou (capitaine au long cours en retraite) avec les deux remorqueurs d’Audierne (La Steredenn et le Bel-Ilois) qui réussirent à déplacer le navire de 250 mètres vers l’intérieur du port. Mais, suite à une fausse manœuvre, le bateau s’échoua à nouveau et, cette fois-ci, se mit en travers du chenal en l’obstruant. Les tentatives faites le lendemain furent vaines. Vu l’urgence de la situation, le préfet, demanda à l’ingénieur des Ponts et Chaussées et au maire d’Audierne de faire enlever l’épave. Le montant de l’opération qui s’élevait à 21 551,41 francs (55 000 de nos Euros) fut réclamé à monsieur Albaret le 20 avril 1913. C’est seulement le 15 février 1918, soit 5 ans plus tard, que le conseil d’état tranchera. Monsieur Albaret (notoirement insolvable) devra donc s’acquitter de la somme de 21 551,41 francs avec intérêts à compter du 15 février 1913.

Vestiges de l’épave

En septembre 1978, le sablier Le Goyen, lors d’une de ses missions régulières de dragage et de désensablage du chenal du port d’Audierne, ramenait une partie d’un des mâts du voilier (7 mètres de long pour un diamètre de 30 cm) et quelques pièces en parfait état de conservation qui rejoindront les collections du musée maritime.

Sources :

Norske skipsforlis i 1912 ; A.N. 44 (122J Art 3)
Identifiant GEDASM : 573
Informateur : C. Rabault
Mise à jour : 17/02/2011