Deux poilus corses à la Vieille

En 1918, au sortir des hostilités, l’État recrute, dans un esprit de reconnaissance nationale et de justice sociale, des blessés et mutilés de la Grande Guerre, au titre des emplois réservés. Le Service des Phares, naturellement, s’y soumet.

En 1925, deux agents d’origine corse, bénéficiant du nouveau statut, sont affectés, à la mi-décembre, sur la roche de la Vieille. Ils sont des survivants, très amoindris, de l’hécatombe. L’un a perdu l’usage d’un bras, l’autre porte toujours un projectile dans le corps et tous deux ont le poumon perforé.

En cette fin décembre, les gardiens Mondoloni et Ferraci découvrent alors, et non sans effroi, leurs nouvelles contions de travail : ascension quotidienne du haut escalier, charroi des fûts de pétrole, froid, humidité, vent, pluie et paquets de mer.

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(collection Roland Bordas)

Or un puissant coup de vent frappe la pointe bretonne. Au fil des semaines la tempête ne mollit pas et, à Sein, on constate que le feu dysfonctionne régulièrement. Le gardien-chef est en congé, les deux nouveaux sont seuls et les vivres se raréfient.

Le 11 février 1926, malgré une mer toujours grosse, le baliseur Léon Bourdelle, tente une approche. Il déborde son canot, mais l’équipage ne peut se maintenir sur la roche et regagne le bord. La situation est identique le 12. Le 14, une accalmie permet de faire passer quelques vivres aux prisonniers de la Vieille.

Dans la nuit du 19 au 20 février, la goélette paimpolaise Surprise faisant route nord par vent nul, affronte une très forte houle de suroît à l’entrée du raz de Sein, dans le sud de la pointe. Drossée à la côte, elle talonne la roche entre le Loc’h et pors Loubous et coule. Il n’y a pas de survivant.

Le 26, la situation des gardiens empire encore. Ils signalent leur détresse par pavillon, sans qu’une sortie soit possible. Enfin, le 28 février, le sloop Trois amis, patron Clet-Henri Coquet, du quartier d’Audierne, appareille de Bestrée, malgré des creux de 10 mètres. Il est accompagné du gardien-chef Jean-Noël Kerninon. Ils accostent la roche, remettent le feu en route et évacuent Mondoloni et Ferraci épuisés, après 73 jours d’isolement.

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Coquet et Kerninon, les sauveteurs

Mais voici que les journaux de l’époque déclenchent une polémique en opérant un rapprochement hasardeux entre le naufrage de la Surprise, l’extinction du feu et l’incompétence supposée ou, du moins, l’amateurisme des deux gardiens.

La controverse aura pour conséquences le déclenchement d’une enquête qui écarte la responsabilité des deux gardiens dans l’échouement de la Surprise, les réhabilite en établissant l’absence de faute de service… et conduit l’Administration à revoir sa position quant à l’accès des handicapés aux fonctions à risque.

Pierre Oppici

extrait de l’expo 2020 : Naufrages et phares